Chronique de Sr Marie Emmanuel en période de confinement

St Leu, dimanche 29 mars 20

Bien chères sœurs,

Je remercie toutes celles qui m’ont adressé un mot personnel suite à mon envoi de la semaine dernière, et je remercie aussi chacune de vous, qui nous portez dans votre prière, tout comme je porte aussi chacune dans la mienne. C’est là le support fraternel, qu’évoquait le frère Thierry Hubert en conclusion de l’Eucharistie de ce jour à la télé !

Je n’ai répondu à personne, ne m’en veuillez pas… Les journées sont bien pleines, et je dois ménager les forces pour tenir dans la durée, car il paraît que je n’ai plus 20 ans, et que les avoir 3 fois change un peu la donne !

Aussi cette lettre adressée à toutes vous permettra de suivre la vie du Centre où je travaille…

Avec l’aide de votre prière, les choses ont bien évolué en une semaine. Des prises ont été installées dans la moitié des chambres, et le wifi dessert l’ensemble du bâtiment. Petit clin d’œil au passage : l’installateur de le wifi avait demandé un coup de main à un de nos jeunes… pendant 2 jours ils ont travaillé ensemble, et au terme de l’installation, une offre est faite de prendre ce jeune en apprentissage. Ce sera pour après le confinement, mais quelle joie !

Voilà nos jeunes un peu scotchés sur leurs smartphones donc à présent… et cela met beaucoup plus d’espace de calme dans la maison ! La mise à la porte des éléments les plus violents a fait réfléchir certains d’entre eux, qui ont tout à gagner de rester ici, plutôt que d’être envoyés au gymnase (réservé aux mineurs), géré aussi par nous, où l’hébergement est encore plus rudimentaire. Et le lien commence à se faire entre eux, et entre eux et nous, avec des moments tout à fait sympathiques. L’annonce du décès d’une jeune de 16 ans a fait prendre conscience à la majorité d’entre eux du sérieux de la situation.

Les jeunes africains qui sont passés par la Lybie ont une capacité à se réfugier dans le sommeil qui est impressionnante. Il faut du coup restimuler en permettant de se rendre dans la petite cour en petits groupes pour se bouger un peu… Il nous avait été proposé le financement d’un matériel sportif : je viens seulement d’avoir la réponse négative de la directrice : ce n’est pas dans les urgences, et pas adapté à nos locaux… décevant, mais je n’ai pas de pouvoir décisif !

Auparavant il n’y avait plus de jeunes, ni donc d’agents de sécurité après 9h. Ils étaient tout nouveaux donc sur les horaires de jour, et cela a été une part de la difficulté des premiers jours. Maintenant, ils commencent à bien connaître. L’un d’eux a vraiment une fibre éducative, s’implique bien au-delà du rôle de surveillance auquel certains autres se cantonnent. Je peux m’appuyer sur lui, et j’arrive même à prendre le temps de manger maintenant !

Il devient possible de faire intégrer des horaires : il n’y a plus de petit déjeuner servi après 10h30, ni de déjeuner après 14h. Nous avons la nourriture en quantité largement suffisante : cela commence à les sécuriser. Mon émerveillement vendredi était de voir les jeunes venir prendre un thé chaud dans l’après midi, à côté des tables où j’avais commencé à préparer pour le dîner. Bananes et vaches qui rit ne disparaissaient pas, et je n’avais plus besoin, comme cela avait été jusque-là, de garder un œil attentif pour faire ressortir des poches ce qui n’aurait pas dû y aller. Reprendre avec fermeté : « ici, on ne peut pas faire cela, et si tu prends quelque chose, cela va manquer pour quelqu’un. Mais si tu as besoin, tu demandes. S’il y a assez, je te donnerai, mais tu ne peux pas prendre par toi-même… » reprendre donc, mais sans culpabilisation car ils ont vécu si longtemps dans de la survie ! je n’imaginais pas qu’on puisse arriver à un si beau résultat après seulement 10 jours.

De nouveaux jeunes continuent d’arriver, principalement par les commissariats : l’hébergement d’urgence de jeunes ne se fait qu’après passage chez eux pour les mineurs. Tous les mineurs avec des symptômes, ou testés positifs, nous sont adressés, mais nous avons une réelle difficulté à les stabiliser. Se retrouver confiné dans une chambre, avec interdiction d’en sortir, est juste au-dessus de leurs forces. Certains sont partis par une fenêtre du 2ème étage ! Cette semaine, nous serons 2 travailleurs sociaux, ce qui permettra d’être plus présents auprès d’eux, je l’espère…

Des jeunes français commencent aussi à arriver : on nous a demandé de leur réserver 5 places. Celui qui est arrivé le premier a des parents divorcés. La mère l’a envoyé chez son père… et chez le père, ils étaient 7 dans un logement avec 2 chambres : le père, une sœur de ce jeune, un oncle, son épouse et un bébé, et un autre oncle. Suite à une dispute, ce jeune était mis à la porte. Il a 17 ans, en terminale, et il passe son bac blanc jour après jour sur un ordinateur dont nous lui permettons l’accès. Sans amertume vis-à-vis de ses parents, il cherche les solutions pour pouvoir continuer ses études, se financer quand il va être majeur… mais est capable de craquer parce qu’il voudrait manger un « kinder bueno » et n’a pas le droit de sortir en acheter (et nous non plus d’ailleurs !). Un ado dans toute sa splendeur !

La machine à laver/sèche-linge… est enfin commandée, j’en ai eu l’assurance vendredi. Le matériel pour faire l’installation de celle-ci est déjà arrivé, donc elle devrait être opérationnelle dans la semaine. En attendant, j’ai pu fournir un double de vêtements à tous, grâce à la générosité des St Loupiens et à l’aide de Marie-Do : elle est confinée à la maison, et est chargée de la collecte et des relations extérieures ! Un petit étendage dans la cour permet de sécher ce qu’ils lavent à la main, et heureusement, il fait beau.

Les trajets, pour moi, sont devenus plus compliqués. Les transports ont été drastiquement réduits, avec possibilité pour les soignants de se faire payer un taxi. Mais pour les autres… cela ajoute une bonne demi-heure de trajet le matin, et cette semaine, je devrais pouvoir quitter le travail à 16h mais le train n’est qu’à 17h30 !

Un moment très émouvant le 25 mars : en arrivant dans le train, je me suis rendu compte que j’avais gardé dans ma poche le téléphone du centre. Descente à la station suivante, une heure pour revenir au Centre, et j’avais vu que je n’aurais un train qu’à 21 h (au lieu de 17h 30). J’étais vraiment déconfite… Lorsque l’agent de sécurité de l’équipe du soir a su ce qui se passait, il m’a immédiatement tendu les clés de sa voiture : « tu as ton permis ? tu me la ramènes demain ! » Je l’aurais embrassé, mais ce sera pour plus tard ! Et j’ai pu être à la maison à 19h 30 pour la prière du soir. Marie-Do avait préparé une prière intégrant un peu le déroulé qui nous avait été proposé dans la CRSD, mais je vous avoue que nous n’avons pas déployé cette célébration autant que ce que vous avez pu faire, les unes et les autres !

Je devrais passer le test pour le COVID 19 cette semaine. Cela peut m’amener à être confinée pour quelques jours… A la grâce de Dieu ! Ma directrice a eu le temps de recruter d’autres intervenants, la première étape de mise en place est faite, mission accomplie pour la première étape !

Prenez soin de vous… bonne patience dans ces temps où la solitude peut être lourde, l’inquiétude parfois aussi… et restons en grande union de prière et d’espérance les unes pour les autres.

Je vous embrasse

Sr Marie-Emmanuel

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