Chères sœurs,
Une fois encore, tout se bouscule en nous – l’effroi des attentats, l’emballement de l’épidémie, la multiplication des situations de pauvreté – et s’entrechoque avec le texte des Béatitudes proclamées en ce dimanche de Toussaint.
Pour certains, ce texte est inaudible. Pour d’autres, il est creux, comme pour cet internaute qui, en réponse à un évêque ayant tweeté quelques versets des Béatitudes au soir de l’attentat de Nice, répondait : « Bisounours ». Difficile à entendre sans doute, car au premier coup d’œil, le programme proposé par les Béatitudes ressemble à celui d’un club de losers[1].
Pourtant, ce texte est tout sauf un anesthésiant pour calmer la douleur et nous faire patienter en attendant des jours meilleurs. Il est l’horizon d’une vie en société pacifiée, de ce vivre ensemble auquel tant de commentateurs font référence. Qu’adviendrait-il d’un monde qui ferait l’apologie de contre-béatitudes ? Heureux ceux qui ont une âme de riche et n’ont besoin de rien ni personne ; heureux les violents, les insensibles, les injustes, ceux qui s’érigent en juge, les corrompus, les va-t-en guerre, les persécuteurs, ceux qui croient venger leur dieu… Dans ce monde-là, « l’homme est un loup pour l’homme » selon l’expression de Thomas Hobbes, précurseur de la science politique moderne.
Alors les Béatitudes, un programme de losers ou la reconnaissance de notre irréductible fragilité que nous redécouvrons à travers ces situations tragiques ? Une fragilité qui n’est pas faiblesse mais qui nous fait entrer dans une dépendance féconde. Une fragilité qui fissure nos suffisances, qui est le lieu de la rencontre, qui est le lieu de la fraternité. Une fragilité où Dieu se dit, qui est le lieu de Dieu…
Accueillir notre fragilité pour laisser passer Dieu et se faire proche de nos frères. C’est peut-être ça un chemin de sainteté…
« Permets que tout soit ouvert à Dieu » (Gaudete et Exsultate n°15).
Belle fête de Toussaint à chacune !
Sr M-Laure Dénès
[1] Anglicisme qui signifie minable, raté